|
Retour à la bibliothèque SF et Fantasy
Le Cycle de l'Élévation - Le Chemin des bannis et les Rivages de l'Infini "Marée Stellaire" Titre original : - Startide rising -, 1983 Prix Nebula, Prix Hugo 1984 Quatrième de couverture : Il a fallu à la Terre des siècles pour rompre son isolement galactique et des siècles encore de manipulations génétiques pour que le Streaker, vaisseau d'exploration, dispose de l'équipage essentiel à sa mission : sept Terriens de haute expérience spatiale, un étonnant néo-chimpanzé et des dauphins rompus à la technique et au langage. Aussi, quand une avarie force le Streaker à faire halte, le commandant choisit-il Kithrup, un monde nautique où les dauphins peuvent agir aussitôt. Tous, en effet, savent que des Flottes galactiques, venues de planètes rivales, veulent s'emparer du vaisseau. C'est que le Streaker, lors d'une étonnante découverte, a fourni à ses banques de données un savoir secret qui peut ébranler la cohésion de l'univers... - Par Jean-Marc Suzzoni -
Jusqu'à
aujourd'hui je vous ai présenté des romans magnifiques (certes), des chefs
d’œuvres (j'en conviens !), avec
du souffle (nécessaire, sinon on s'ennuie) et un style agréable (a que, il
vaut mieux que ça soit bien écrit...). Cette fois-ci, pourtant il va falloir
s'accrocher car David Brin a un
sacré coup de plume. J'avoue humblement avoir, une première fois, tenté de
lire Marée Stellaire
quand il est sorti en VF, et l'avoir abandonné après dix pages... Je l'ai
repris six mois plus tard, car il faut toujours laisser une deuxième chance à
un auteur, et je ne regrette pas d'avoir été emporté par une formidable Marée Stellaire. L'auteur Il
est professeur de physique dans une université américaine (San Diego). Les oeuvres de David Brin qu'on peut rattacher au Cycle de l'Élévation : pour
le moment je ne connais que 6 romans se situant dans l'univers des Cinq Galaxies. Le terme de trilogie est sans
doute un peu exagéré pour les 3 premiers romans, car ils n'ont guère de
rapports en commun, sinon qu'ils tournent tous autour de la montée en puissance
de la civilisation terrienne après la découverte de la «Flotte abandonnée» par le
Streaker. Les Cinq Galaxies Dans
cet univers (galactique, mais à l'organisation politique néo-féodale), les
races des divers mondes habités se divisent en races patronnes ou suzeraines (Les Soros, les Tandus, les Thennanins, les Grubus, les Frères de la Nuit,
les Jophurs, les Xatinnis, les J'8leks sont parmi les plus puissantes) et
en races clientes ou vassales.
Les premières, qui ont déjà maîtrisé le voyage intergalactique, usent du
processus de l'Élévation
sur les secondes (à grand renfort de mutations génétiques provoquées !) afin
qu'elles acquièrent à leur tour la sapience et la maîtrise de l'espace. En
paiement de cette faveur, chèrement acquise parfois, les races clientes
travaillent gratuitement pour leurs bienfaitrices (!?) durant des millénaires,
avant de devenir races patronnes à leur tour en développant l'intelligence
chez de nouveaux vassaux. Il se crée ainsi de véritables réseaux d'influence
dans les Cinq Galaxies, que les
Instituts de l'Élévation,
sorte d'ONU galactique, contribuent parfois, mais rarement, à policer... Dans
les Cinq Galaxies, si on y met les formes, si on respecte les règles du jeu
(rarement connues des Terriens, très jeune chiens dans le jeu de quilles...) on
peut quasiment tout faire. C'est en effet une société sub-féodale qui s'est
établie sur l'univers connu, et on y pratique plutôt la politique de la
canonnière. Et celles des ET ou Eates (de "to eat") les plus agressifs sont
redoutables. Outre la propulsion interstellaire et inter-galactique, les races patronnes possèdent un système de banques de données universelles : La Grande Bibliothèque Galactique, auquel les Terriens ont un accès (limité !). En effet, pour la plupart des Galactiques, les Terriens sont des "Jeunes-loups" méprisables car ils sont passés directement au vol cosmique sans aide, et pire, ils ont "élevé" 3 races de leur planète : les Chimpanzés, les Dauphins et les Gorilles...
Prix Hugo 1984 Le
Vaisseau spatial Streaker,
gravement avarié, repose sur le fond d'un plateau océanique de la planète
marine Kithrup. Son équipage,
142 néo-dauphins, 7 humains et 1 néo-chimpanzé,
tentent de réparer leur engin pour fuir vers la Terre, car ils veulent échapper
à la meute d'escadres extraterrestres rivales qui depuis une récente embuscade
tentent de s'emparer de la nef terrestro-delphinienne... Arrivés
récemment, et par leurs propres moyens, à l'âge intergalactique, les Terriens
et les deux races qu'ils ont élevées à la sapience (Ndt : à l'intelligence
!)
ont mis au point un vaisseau spatial d'exploration expérimental, dans le but de
tester la capacité de leurs protégés néo-delphiniens à être des
navigateurs spatiaux indépendants. Cette politique altruiste est une des
erreurs que les vieilles races galactiques les plus conservatrices ne peuvent
supporter. Autour du Streaker tourbillonnent les puissantes flottes des Soros, des Tandus, des Thennanins, des Grubus, des Frères de la Nuit, des
Jophurs, des Xatinnis, des J'8leks... Et les Terriens ne peuvent guère
compter sur leurs rares alliés Tymbrinis
ou Synthians, car ceux-ci sont
peu puissants et de toute façon pas présents autour de Kithrup... Le
deuxième fait qui pousse tous les ET à vouloir capturer l'équipage expérimental
du Streaker, c'est que celui-ci a découvert, et annoncé inconsidérément,
l'existence d'un puissant artéfact galactique, un immense cimetière de
gigantesques vaisseaux spatiaux. Peut-être la flotte des Progéniteurs,
une de ces mythiques races sapientes qui ont autrefois régné sur les Cinq
Galaxies avant de se retirer. Les coordonnées de cette flotte sont dans les
banques de données du Streaker et chaque dirigeant ET
la convoite pour la plus grande gloire de sa race...
Marée stellaire
est donc un Space Opera par son
thème, et par le développement de l'intrigue générale, mais pas dans le développement
des multiples intrigues secondaires, ni dans le style. Ce qui fait de ce livre
un des plus complexes et des plus difficiles à lire parmi les romans récents
de SF. Cela tient en partie à la technique d'écriture de l'auteur, laquelle
est très cinématographique. On saute ainsi de personnages en personnages, de
situation géographique en vaisseau spatial, dont le nom est donné par le titre
du chapitre. C'est une astuce de style fréquemment employée par les auteurs,
mais là, elle est magnifiquement bien utilisée, car le style d'écriture est
adapté à la situation et aux personnages. Ainsi, un midship humain ; un
officier néo-delphinien de l'espèce Tursiop amicus
; un matelot néo-delphinien pourvu de gênes Sténo
;
un Synthian ; une Matriarche Soros, ou un ordinateur intelligent des Tymbrinis ne
s'expriment pas de la même façon, n'ont pas les mêmes modes de pensée, ni
les mêmes objectifs. C'est cela qui est superbement réalisé, mais qui est
difficile à appréhender. L'auteur
a, en particulier, créé les trois langages utilisés par les néo-dauphins : le
Primal (animal), l'Anglique
(anglais technique modifié) et le
Ternaire (langage poétique assez semblable aux haïkaïs japonais).
C'est une parfaite réussite, mais cela risque de surprendre le lecteur de SF
pour qui le Space Opera, c'est la Saga de Perry
Rhodan... D'autant
que David Brin n'utilise guère
le discours explicatif du "Professeur Schmoldu" à chaque nouveau gadget
imaginé. Et Ifni sait s'il y en
a... Un des plus beaux gags est l'idée des déplacements spatiaux "probabilistes" et des résultats des combats que ce type de déplacements impliquent... L'auteur est un scientifique, un scientifique qui sait écrire, mais qui cultive aussi intelligemment toute la partie romanesque et psychologique de ce livre foisonnant d'idées et de trouvailles. Ainsi, si les aperçus écologiques, géologiques, nécessaires à la trame du récit, passent comme une lettre à la poste (mieux que certains cours professoraux dans certaines universités...), la grande réussite de ce roman est l'extraordinaire création des personnages extra-humains... Marée Stellaire est un chef d’œuvre qui renouvelle totalement le genre Space Opera...
C'est
le roman qui est une sorte de suite, plus ou moins parallèle dans le temps à
la crise du Streaker. Sur Garth,
une planète que les instituts galactiques ont laissé coloniser par les
Terriens, c'est la panique. Les Grubus, des ET pseudo-aviens, particulièrement
agressifs et formalistes, annoncent qu'ils vont attaquer les colons humains et néo-chimpanzés...
L'intrigue est intéressante. Il y a pas mal de suspense et on apprend plein de
nouvelles informations sur la civilisation des Cinq Galaxies ; les personnages ET
(Grubus, Tymbranis, etc...) sont très bien imaginés et particulièrement
réjouissants ;
mais les néo-chimps ne valent pas les néo-dauphins comme personnages de
premier plan (le côté poétique des Haïkaïs n'est pas au rendez-vous, sans
doute...). Aussi, même si Élévation
est un bon roman que l'on doit lire, si on aime l'univers des Cinq Galaxies, je
le trouve personnellement un ton en dessous de Marée
Stellaire.
Rédemption : Jijo, un monde abandonné et recolonisé La
planète Jijo fut autrefois habitée
par la race des Buyurs. Comme
certains Grands Galactiques au déclin de leur existence, les Buyurs ont
abandonné ce monde pour qu'il puisse se régénérer. C'est du moins ce que croient
divers groupes d'immigrants clandestins (de races diverses) venus s'y réfugier.
Après des guerres raciales et tribales, une grande paix consensuelle s'est
installée au fil des siècles. Maintenant
les 6 communautés cohabitent plutôt bien. Les races présentes sur Jijo
sont : les hoons (des géants humanoïdes écailleux) ; les urs (des centaures à trois yeux, au dimorphisme sexuel très
marqué : grandes femelles guerrières et petits males serviteurs) ; les
g'KeKs (de grandes crevettes hermaphrodites à roulettes !) ; les
traekis (des empilements d'anneaux pouvant être se rendre indépendants
et pourvus de divers pseudopodes, bouches et d'organes distillateurs de produits
chimiques) ; les qheuens (des
crabes de couleurs variées à symétrie pentaradiée) et les
humains. Les
Six vivent en petites communautés interraciales principalement dans un secteur
réduit et géologiquement très instable (très volcanique et très sismique)
d'un des continents de Jijo nommé La
Pente (une version romancée de la Californie sans aucun doute). L'installation
dans ce secteur dangereux, le fait que les communautés les plus grandes soient
camouflées pour éviter les observations aériennes et l'existence de l'étrange
profession des Exploseurs (des
dynamiteurs !) tient au complexe de
culpabilité que cette société isolée (les vaisseaux spatiaux ont été
sabordés) a développée : les ancêtres des habitants actuels ont "envahi"
Jijo et l'ont "polluée". Il faut donc tout faire pour être discret et abîmer
le moins possible la planète : les aciers sont conçus pour s'oxyder facilement
; les papiers pour être bio-dégradables ; les déchets sont jetés
dans une vallée sous-marine géodynamiquement active : le
Rift ; les ouvrages d'arts sont toujours prêts à être dynamités, etc
... Quand
les Grands Galactiques (lesquels ?) reviendront sans aucun doute sur Jijo (quand ?), il ne fait
pas de doute aux sages des six races qu'ils seront jugés (et punis !) pour les
péchés de leurs ancêtres. Une
sorte de civilisation archaïsante style "new-age", écologique, messianique
et apocalyptique s'est ainsi développée sur Jijo. Elle n'est toutefois pas
non-violente, montrant ainsi son côté intolérant pour les opposants aux
traditions : les squatters,
c'est à dire les colons qui n'habitent pas La Pente, sont impitoyablement (et
cruellement) exécutés s'ils sont pris. Bien
sûr, le roman raconte l'intrusion sur Jijo d'explorateurs stellaires.
Moins
Space opera que Marée
stellaire, et sans doute un peu plus science
fantasy qu'Élévation, Rédemption est un roman digne de Jack Vance. On y trouve en effet l'opposition (classique chez ce
dernier auteur) entre, d'une part, une planète et sa société archaïque et,
d'autre part, un cadre plus vaste de civilisation intergalactique : la sagaie et
le désintégrateur, la carriole et l'astronef ! Si
le cadre est vancien, le thème l'est aussi : la civilisation des Six, paranoïaque
et rédemptrice, créée sur Jijo est à l'agonie dès qu'un intrus s'y
introduit. En dépit de la soumission de façade aux traditions et à la
philosophie réductrices développées au fil des siècles, des "hérétiques"
se déclarent : humains ou non-humains, ils veulent simplement vivre sur ce
monde, sans avoir à se poser trop de problèmes pour plus tard, avec optimisme,
par rapport au pessimisme ambiant. Comme
chez Vance, aussi le dépaysement est aussi au rendez-vous : animaux étranges
et créatures mystérieuses pullulent : noors,
glavieux, araignées muls...
De
plus la similitude se retrouve aussi en partie dans l'écriture. On trouve
ainsi, entre les chapitres, divers textes de traditions et légendes de la planète
Jijo : ici il ne s'agit pas des extraits de La vie du Baron
Bodissey, mais des Réflexions
sur les Six, Presses d'Ovoom,
Année d'Exil 1915 ; ou bien
de poèmes ; ou encore des textes d'un traeki mystérieux :
ASX ! Enfin,
l'humour et les petites plaisanteries d'initiés ne sont pas absents : les
non-humains dissertant sur la littérature terrienne Le
Château de Lord Valentin, Moby Dick, Simbad le Marin... Ou les noms des
races : traekis ou trekkis ? Ou encore la technique pour faire des "photocopies"
biodégradables... Toutefois,
(et heureusement) c'est dans le
style et dans la description des personnages que David Brin brille et dépasse
de beaucoup son illustre prédécesseur. On n'a pas affaire ici à un unique héros "positif", monomaniaque et sûr de lui, tel Adam Reith de Tschaï ou Kirth Gersen des Princes Démons accompagnés d'une foule de faire-valoir pittoresques. Au contraire, ici, David Brin nous croque une jolie ribambelle de personnages très finement et très psychologiquement bien décrits, les non-humains y compris (extrapolés de certains Californiens...). L'histoire
de Marée Stellaire et celle d'Élévation
était déjà présentée de façon éclatée. Il en est de même ici.
Chaque chapitre montre la crise du point de vue d'un personnage ou d'un groupe
de personnages. Tous ne réagissent pas de la même façon à l'apparition des
intrus sur Jijo. Bien
des auteurs se sont essayé à une
telle technique d'écriture. Beaucoup s'y sont cassé
les dents. Pas David Brin qui maîtrise ici parfaitement cette façon d'écrire.
Le Chemin des Bannis et
Les Rivages de l'Infini Peu de choses à ajouter sur cette suite de Rédemption... Sinon que c'est la suite, indispensable évidemment, puisqu'on avait été abandonné dans le premier tome sur un cliffhanger...
Inspi-JDR L'univers
décrit par David Brin se prête particulièrement bien au développement d'une
campagne de Science-fiction... On peut ainsi jouer avec les règles de StarWars (sans se préoccuper de ce que va faire l'Empire et Darth Vador) ou
avec Basic. Il faudra cependant
au Maître de Jeu un peu de travail pour standardiser les divers races d'ET et
le matériel ; mais quel plaisir ensuite de jouer un Tymbranis, un Thennanin ou
un néo-dauphin et d'affronter un trio de Grubus en mission... Évidemment ceci s'adresse à des joueurs privilégiant enquêtes et discussions, pas à des GBG (Gros Bills Galactiques)... Jean-Marc Suzzoni Liens concernant David Brin et son oeuvre : - http://www.kithrup.com/brin/ Le site officiel - en anglais -
|
|