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"La
Lune seule le sait"
Johan Heliot,
2000
Quatrième de couverture :
Printemps 1889. Un vaisseau hybride de chair et de
métal fait irruption dans le ciel de Paris, stupéfiant la foule venue
célébrer la clôture de l'Exposition Universelle. L'humanité entre en contact
avec les extraterrestres Ishkiss et découvre une technologie qui surpasse tout
ce que les esprits les plus audacieux ont pu rêver jusque-là...
Dix ans plus tard, l'Europe
s'est transformée grâce à l'alliance rendue possible entre le vie et la
métallurgie. Pourtant, la révolte gronde, menée par les artistes et les
écrivains exilés en Amérique. La science fabuleuse apportée par les
créatures d'outre-espace est devenue un redoutable instrument d'oppression
entre les mains de l'Empereur français. Les droits des peuples sont bafoués,
les opposants déportés grâce à la nef Ishkiss vers le nouveau bagne que
Louis Napoléon vient d'inaugurer dans les entrailles de la Lune... l'Enfer de
Dante.
Quels sont les véritables
desseins des alliés du maître de l'Empire ? La réponse offre la clé de
l'éternité ; un homme sur Terre est peut-être capable de l'entrevoir.
Celui dont les rêves à présent dépassés ont à longueur de pages fasciné
ses semblables.
Mon avis :-))
Très bien écrit, La Lune seule le sait
mêle habilement uchronie (divergence dans le temps à partir de l'Exposition
Universelle de 1900 à Paris, quelle meilleure date pourrait-on trouver ?) à un
univers teinté de steampunk, incluant plusieurs personnages historiques
célèbres comme Jules Verne ou Napoléon III.
Pour ce qui est de
l'intelligence Ishkiss, son nouveau type d'évolution par la symbiose ou
l'assimilation, en désaccord apparent avec Darwin, a quelque chose
d'on-ne-sait-quoi dérangeant, les barrières d'identité entre espèces
devenant alors floues et celles des individus encore plus...
Il est dommage que les discours
politiques soient autant appuyés, mais pour compenser, il y a de bonnes
trouvailles comme l'exosquelette associé aux insectoïdes et animalcules,
moitié vivants, moitié mécaniques, et permettant de visiter sans risques (ou
presque !) les paysages lunaires.
L'Enfer de Dante sur la lune
n'est pas mal non plus, avec son système d'ascenseurs remplis de gardes-chiourmes
et ses plate-formes circulaires plongeant dans l'obscurité des profondeurs.
Quand à l'Empereur Napoléon, chacune de ses apparitions par l'intermédiaire
du préfet Andrieux constitue un subtil mélange de dégoût et de fascination
morbide.
En bref, ce roman est très
agréable à lire, les chapitres sont bien agencés pour maintenir le maximum de
suspens et de secret autour des stratégies adoptées par chacun, aussi bien
journalistes, Ishkiss ou agents de l'Empereur...
Extraits :
1- Ceci est l'histoire d'un siècle fou. Ceci est
l'histoire de la plus belle rencontre qui se puisse rêver entre des espèces
que tout sépare. Ceci est, également, l'histoire d'une grande catastrophe.
(...) A cette histoire, il faut un début, des fondations solides, sur
lesquelles je vais m'attarder ici. Je vais vous raconter comment tout a
commencé. Quand je dis tout, ce n'est pas une simple figure de style. TOUT a
véritablement commencé avec mon histoire : le futur des humains plonge ses
racines à cet instant précis de leur évolution. Les quelques centaines de
milliers d'années qui ont précédé n'étaient qu'un modeste préambule. Une
entrée en matière. L'Histoire (avec une majuscule, cette fois) d'une espèce
n'est rien tant qu'elle reste confinée à sa planète originelle. J'en sais
quelque chose...
Mais pour s'arracher à
l'inertie du sol, il faut la concordance de plusieurs éléments décisifs,
dont le moindre n'est pas la faculté de RÊVER.
Alors, si vous le voulez
bien, stoppons là nos tergiversations et partageons le rêve de ceux qui ont
voulu décrocher la Lune, et l'ont fait.
2- Passons à la suite, voulez-vous ? fit Georges.
On abandonna le frigo aux
pieuvres endormies, congelées, pour une seconde salle, séparée par une
porte étanche. (...) L'odeur ne trompait pas : c'était celle, forte mais
agréable, qui régnait dans les écuries terriennes. Au moins, se
réjouit-il, rien ici de déstabilisant. Quand il aperçut les montures que
Georges leur destinait, Jules révisa son jugement. Il était sur la Lune, il
ne fallait jamais l'oublier. Ici, les choses n'avaient jamais que l'apparence
de la normalité. (...)
La bête possédait une paire
de pattes supplémentaires et un blindage chatoyant. Une paire d'antennes et
des mandibules. Néanmoins, elle faisait un parfait baudet, assura Georges.
Isidore intervint : "Ces
insectoïdes sont adaptés à l'environnement lunaire, sa faible gravité, ses
formidables amplitudes de températures, etc. Mais nous ne le sommes pas
!"
Ce disant, il enfourcha
l'abdomen du coléoptère. Celui-ci était fendu dans sa largeur, comme
cisaillé net par une lame géante. Bautrelet enfila ses jambes dans la plaie,
par ailleurs très propre, puis, à la stupéfaction de Verne, il disparut à
l'intérieur de l'insectoïde ! Jules eu un mouvement de panique, mais Georges
l'empêcha de se précipiter au secours du jeune homme. Un instant plus tard,
Bautrelet réapparut, enveloppé d'une couche de gelée jaunâtre. On l'aurait
dit badigeonné de miel.
La fausse pieuvre n'était
pas restée inactive. Elle avait déployé deux tentacules effilés et
souples, dont l'un s'enfonçait dans la bouche du journaliste, l'autre ans sa
narine gauche. Soumis à pareil traitement, Bautrelet souriait, fier de
l'effet produit. Georges expliqua :
- La substance sécrétée
est un parfait isolant thermique, et vous verrez qu'on oublie vite sa
présence. Contrairement à un scaphandre, lourd et peu maniable, qui use les
forces des promeneurs. Ca n'est finalement qu'un vêtement supplémentaire,
léger et parfumé, de surcroît. Au retour, il suffira de quelques minutes
pour cristalliser la couche protectrice et vous en débarrasser.
- Et la... pieuvre ? demanda
Jules.
- L'animalcule, comme on
l'appelle ici, est partie intégrante de l'équipage. Il se connecte à la
réserve d'air contenue dans la partie inférieure du gros abdomen de son
compagnon. Il prend l'exacte mesure de vos capacités pulmonaires, s'adapte à
votre rythme cardiaque, pompe l'oxygène et évacue le gaz carbonique, tout en
veillant au maintien de votre température interne. S'il décèle la moindre
anomalie, il enverra à votre guide le signal adéquat, et celui-ci regagnera
la Base d'urgence. Il n'y a rien à craindre. Les Ishkiss ont pensé à tout !
- Comme à leur habitude, fit
Jules, sur un ton sarcastique.
Liens
concernant Johan Heliot et son oeuvre :
- http://www.seishin.fr/~MdMondes/85/Rencontres/itw_heliot.htm
Interview de Johan Heliot -
en français -
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