Neil Gaiman

 

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- American Gods

- Neverwhere

- Miroirs et fumées

SFantasy, littérature de science-fiction et de fantasy : résumés, avis de lecture, genres, grands auteurs...

"American Gods"

Titre original : American Gods, 2001

Lauréat du Prix Hugo 2002

Neil Gaiman : American Gods

Quatrième de couverture :

A peine sorti de prison, Ombre apprend que sa femme et son meilleur ami viennent de mourir dans un accident de voiture et qu'ils étaient amants. Seul et désemparé, il accepte de travailler pour un mystérieux individu qui se fait appeler Voyageur. Entraîné dans une aventure où ceux qu'il rencontre semblent en savoir plus sur ses origines que lui-même, Ombre va découvrir que son rôle dans les desseins de l'énigmatique Voyageur est bien plus dangereux qu'il n'aurait pu l'imaginer.

Car, alors que menace un orage d'apocalypse, se prépare une guerre sans merci entre les anciens dieux saxons des premiers migrants, passés à la postérité sous les traits des super-héros de comics, et les nouveaux dieux barbares de la technologie et du consumérisme qui prospèrent aujourd'hui en Amérique...

Best-seller aux États-Unis, un grand thriller épique où se mêlent mythologies et réalité, une magnifique métaphore dans laquelle Gaiman explore l'âme et les contradictions de l'Amérique moderne.

Né en 1960 en Angleterre, Neil Gaiman vit aujourd'hui aux États-Unis. Auteur de la série de comics The Sandman, romancier, novelliste, coauteur avec Terry Pratchett du roman De Bons Présages (Au Diable Vauvert), Gaiman s'est imposé comme l'un des auteurs cultes de la nouvelle vague fantastique rock.

Mon avis  <;-D

Il n'y a pas à dire, Neil Gaiman sait écrire, et bien écrire. Sur 700 pages (que l'on ne voit pas passer), il brosse dans American Gods un portrait mi-réaliste, mi-fantastique de l'Amérique d'aujourd'hui, avec ses contradictions qui font toute sa richesse. Comme le dit le quatrième de couverture, il s'agit d'une immense métaphore de tout un pays, où les dieux de tous poils (grecs, romains, vikings, égyptiens, modernes...) dirigent l'ordre du monde. L'humour est complexe mais très présent, les références à la mythologie sont nombreuses et judicieuses.

L'histoire d'Ombre, ce détenu qui sort de prison en ayant tout perdu et accepte le marché de ce mystérieux Voyageur nous emmènera loin de ce à quoi on pouvait s'attendre au premier abord. Et quel plaisir que de décrypter les indices placés nonchalamment sur le chemin d'Ombre...

Parmi les lieux traversés par notre héros, la description du village de Lakeside donne presque envie d'y séjourner par moins quarante degrés et la maison sur le rocher semble suffisamment intrigante pour être le but d'une expédition touristique.

Tout au long du roman, des apartés nous plongent dans l'intimité des premières peuplades qui créèrent des dieux, souvent cruels et aujourd'hui disparus de l'esprit des hommes. Comme ce dieu symbolisé par une énorme tête de bison par les premiers migrants d'Amérique, il y a quelques millénaires, dont le nom se perd dans les limbes de l'histoire.

Et quand je dis que l'humour et l'ironie sont omniprésents, il n'y a qu'à remarquer les professions des anciens dieux, reconvertis pour survivre dans l'Amérique moderne : ainsi, Mr. Ibis et Mr. Chacal ont monté leur propre entreprise de pompes funèbres, et sont avant tout soucieux de la qualité de leurs prestations.

Mais au final, on s'aperçoit que ce ne sont pas les Dieux qui commandent aux hommes, mais les hommes qui permettent aux dieux d'exister. Et les hommes sont plutôt d'humeur capricieuse : les dieux se succèdent dans l'histoire des hommes depuis la nuit des temps sans que l'humanité dans son ensemble y voit une grande différence. S'il apparaît un nouveau besoin, un nouveau dieu est créé de toutes pièces et les anciens tombent peu à peu en désuétude. C'est ce qui arrive à Odin, Loki et à leurs confrères, peu à peu oubliés au profit des nouveaux dieux des transports, de l'électronique et de l'informatique. Une immense guerre entre anciens et nouveaux dieux se prépare en un lieu inaccessible aux hommes. Mais ce combat a-t-il un sens dans un pays où toute chose possède une date de péremption ?

Est-ce que l'Amérique ne croit plus en rien (les anciens dieux qui dépérissent) ?

Ou croit-elle à trop de choses en trop peu de temps (les nouveaux dieux de l'Internet et des nouvelles technologies) pour conserver une identité stable ?

A moins qu'à l'image de la jeune Samantha, "Sam", elle puisse accepter sans rechigner les contradictions que lui apporte la culture de chacun de ses habitants, s'adaptant à toutes les circonstances pour mieux survivre ? 

Il ressort de toutes ces interrogations que le vrai dieu de l'Amérique, c'est le pays en lui-même, mauvaise terre pour le séjour de dieux qui sont oubliés sitôt créés.

En lisant les extraits ci-dessous, vous aurez un petit aperçu de la diversité des thèmes abordés et de l'humour omniprésent, qui refait surface uniquement quand on s'y attend le moins :)

En bref, American Gods recherche l'identité de l'Amérique moderne à travers ses croyances, tâche qui semble être sans fin. Vraiment un bon roman, plein de péripéties et avec un héros attachant, le tout enrobé d'une touche d'humour bienvenue. 

Note : American Gods vient d'obtenir le prix Hugo 2002 décerné aux USA par la World Science-fiction Society, qui récompense le meilleur livre de SF de l'année. Puisque je vous dit qu'il est bien ;-)

Extraits :

1- Chaque heure blesse. La dernière tue. Où avait-il lu ça ?

Ombre se souvint du commentaire de Voyageur et sourit malgré lui. Il avait entendu trop de gens s'encourager à ne pas réprimer leurs sentiments, à laisser s'épancher leurs émotions et s'échapper la douleur. Selon lui, il y avait beaucoup à dire pour l'emprisonnement des émotions. Si on le pratiquait assez longtemps, assez profondément, on finissait sans doute par ne plus rien ressentir.

 

2- Voici les dieux qui ont disparu du souvenir. Même leurs noms se sont perdus, et ceux qui les révéraient sont aussi oubliés qu'eux. Leurs totems ont été renversés, brisés, il y a bien longtemps. Leurs derniers prêtres sont morts sans avoir transmis leurs secrets.

Les dieux meurent. Et lorsqu'ils meurent vraiment, nul ne les pleure ni ne se les rappelle. Il est plus difficile de tuer une idée qu'un être vivant, mais on finit par y arriver.

 

3- Le Tonight Show s'acheva. Un épisode de Cheers commença. Ombre n'avait jamais suivi cette série, dont il n'avait vu qu'un seul épisode - celui où la fille de Coach vient au bar - mais plusieurs fois. Il avait remarqué qu'on tombait toujours, à des années d'intervalle, sur le même épisode des séries qu'on ne regardait pas régulièrement. Ce devait être une loi cosmique.

 

4- Ils ont essayé de résister aux soldats, mais ces derniers ont tiré, et ils ont été tués tous les deux. Donc, la chanson ment au sujet de la prison, mais c'est une licence poétique. En poésie, on ne peut pas toujours dire les choses telles qu'elles sont. La poésie ne représente pas la vérité. Il n'y a pas assez de pieds dans les vers pour ça.

Commentaire d'un chanteur sur "La Ballade de Sam Bass"

A Treasury of American Folklore.

 

5- L'homme croit, songea le fils d'Odin. Voilà ce qu'il fait : il croit. Toutefois, il ne prend pas la responsabilité de ses croyances. Il conjure mais ne se fie pas à ses conjurations. L'homme peuple les ténèbres de fantômes, de dieux, d'électrons, de contes. L'homme imagine, l'homme croit, et c'est sa foi, cette foi inaltérable, qui déclenche les évènements.

Le sommet de la montagne était une arène, Ombre s'en rendit compte aussitôt. Et de chaque côté de l'arène, il les vit rangés.

Ils étaient trop grands. Tout, ici, était trop grand.

Il y avait là d'anciens dieux : des dieux à la peau brune couleur de vieux champignon, rose comme du poulet cru ou d'un jaune de feuille morte. Certains aliénés, d'autres sains d'esprit, mais il les reconnut tous. Il les avait déjà rencontrés, ou d'autres qui leur ressemblaient. Il y avait là des afrits et des lutins, des géants et des nains. Ombre vit la femme devinée dans la chambre obscure de Rhode Island, distingua les serpents verts sinueux de sa chevelure. Il vit Mama-ji, qui avait du sang sur les mains et qui souriait. Il reconnut chacun d'entre eux.

Et aussi les nouveaux.

Il y avait là quelqu'un qui devait être un magnat des chemins de fer, vêtu d'un costume démodé, la chaîne de sa montre à gousset tendue en travers de sa veste. L'air d'avoir connu des jours meilleurs. Son front était animé de tics.

Il y avait là les grands dieux gris des avions, héritiers de tous les rêves du plus lourd que l'air.

Il y avait là un puissant contingent de dieux des automobiles, à l'expression sérieuse, avec du sang sur leurs gants noirs et leurs dents chromées : les bénéficiaires de sacrifices humains sur une échelle inconnue depuis les Aztèques. Même eux, toutefois, paraissaient mal à l'aise.

Les mondes changent. (...)

Les nouveaux étaient arrogants, cela se voyait, mais ils étaient aussi effrayés : à moins qu'ils ne changent au même rythme que le monde, ou à moins qu'ils ne le redessinent et le reconstruisent à leur image, leur heure de gloire passerait très vite.

 

6- Ca n'est pas facile à croire.

- Je suis capable de croire n'importe quoi, affirma-t-elle. Vous n'avez pas idée de ce que je peux croire.

- Vraiment ?

- Je peux croire des choses vraies et des choses fausses, et même des choses dont personne ne sait si elles sont vraies ou fausses. Je crois au Père Noël, au lapin de Pâques, à Marilyn Monroe, aux Beatles, à Elvis et à M. Ed, le cheval parlant. Écoutez-moi bien : je crois que les gens peuvent s'améliorer, que la connaissance est infinie, que les monde est dirigé par des cartels de banques secrets et régulièrement visités par des extra-terrestres - des gentils qui ressemblent à des petits lémuriens ridés et des méchants qui mutilent le bétail et convoitent notre eau ou nos femmes. Je crois que les lendemains chantent et aussi qu'ils déchantent, je crois qu'un de ces jours la Femme-Bison Blanc va revenir nous botter le cul. Je crois que tous les hommes ne sont que de petits garçons montés en graine avec de profonds problèmes de communication, que le déclin de la sexualité en Amérique coïncide avec le déclin des drive-in dans la plupart des États. Je crois que tous les politiciens sont des escrocs sans scrupules mais qu'ils sont préférables à l'alternative. Je crois qu'au moment de la grosse catastrophe, la Californie coulera dans l'océan, alors que la Floride se dissoudra juste dans la folie, les alligators et les déchets toxiques. Je crois que le savon antibactérien diminue notre résistance à la poussière et à la maladie, si bien qu'un de ces jours, on sera tous décimés par un mauvais rhume, comme les Martiens de La Guerre des Mondes. je crois que les plus grands poètes du siècle dernier étaient Edith Sitwell et Don Marquis, que le jade est du sperme de dragon séché, et qu'il y a des milliers d'années, dans une vie précédente, j'étais une chamane manchotte en Sibérie. Je crois que le destin de l'humanité est dans les étoiles. Je crois que les bonbons étaient réellement meilleurs quand j'étais petite, qu'il est scientifiquement impossible à une abeille de voler, que la lumière est à la fois une onde et une particule, qu'il y a quelque part, dans une boîte, un chat à la fois mort et vivant (quoique si on n'ouvre jamais la boîte pour le nourrir, il finira par être mort de deux manières différentes), et que l'univers contient des étoiles qui existaient plusieurs milliards d'années avant lui. Je crois en un dieu personnel qui s'occupe de moi, s'inquiète pour moi et supervise tout ce que je fais. Je crois en un dieu impersonnel qui a mis l'univers en branle avant de partir faire la foire avec ses copines, et qui ne sait même pas que j'existe. Je crois en un univers de chaos causal, de bruit de fond et de chance aveugle - vide, sans dieu. Je crois que ceux qui disent le sexe surfait n'ont jamais fait l'amour correctement. Je crois que quiconque prétend détenir la vérité est aussi capable de petits mensonges. Je crois en une honnêteté absolue et en de raisonnables mensonges sociaux. Je crois que la femme a le droit de choisir, que le bébé a le droit de vivre, que malgré le caractère sacré de la vie humaine, il n'y a rien à redire à la peine de mort, pour peu qu'on puisse faire une confiance totale au système judiciaire, et que seul un idiot congénital ferait confiance au système. Je crois que la vie est un jeu, que c'est une mauvaise blague et que c'est ce qu'on connaît quand on est vivant. Que, tant qu'à faire, autant en profiter pleinement."

Elle s'interrompit, hors d'haleine. Ombre faillit lâcher le volant pour applaudir.

 

7- "Vous êtes heureux ?" demanda soudain le petit dieu.

Il contemplait depuis plusieurs heures son compagnon qui, à chaque fois qu'il jetait un coup d'œil à droite, surprenait ses yeux bruns fixés sur lui.

"Pas vraiment. Mais je ne suis pas encore mort.

- Hein ?

- On ne peut pas dire d'un homme qu'il est heureux tant qu'il n'est pas mort. Hérodote."

Nancy haussa un sourcil blanc.

Moi, je ne suis pas encore mort, et c'est principalement pour ça que je suis heureux comme un pape.

- Oui, mais ce truc d'Hérodote, ça ne veut pas dire que les morts sont heureux. Juste qu'on ne peut pas juger la vie de quelqu'un avant qu'elle ne soit terminée.

- Je ne la juge pas. Quand au bonheur, il y en a un tas de différents, tout comme il y a un sacré paquet de morts différentes. Moi, je prends ce que je peux quand je peux.

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"Neverwhere"

Titre original : Neverwhere, 1996

Neil Gaiman : Neverwhere    Neil Gaiman : Neverwhere

Quatrième de couverture :

Une rue de Londres, un soir comme un autre. La jeune fille gît devant lui sur le trottoir, face contre terre, l'épaule ensanglantée. Richard la prend dans ses bras, elle est d'une légèreté surprenante. Et quand elle le supplie de ne pas l'emmener à l'hôpital, il a le sentiment de ne plus être maître de sa volonté. Dès le lendemain, elle disparaît et, pour Richard, tout dérape : sa fiancée le quitte, on ne le connaît plus au bureau, certains, même, ne le voient plus...

Le monde à l'envers, en quelque sorte. Car il semblerait que Londres ait un envers, la "ville d'En Bas", cité souterraine où vit un peuple d'une autre époque, invisible aux yeux du commun des mortels. Un peuple organisé, hiérarchisé, et à la tête duquel les rats jouent un rôle prépondérant. Plus rien ne le retenant "là-haut", Richard rejoint les profondeurs.

Fable fantastique ou roman de fantasy contemporain, Neverwhere est inclassable, surprenant, original. Plein d'idées, de rebondissements, de clins d'œil référentiels et de personnages iconoclastes.

Mon avis  <;-D

Original est le maître mot de Neverwhere, mais sans sombrer dans l'incompréhensible farfelu, bien au contraire. Avec des personnages de fantasy classiques, mais très vivants et camouflés par un décor contemporain, Neil Gaiman nous entraîne dans un Londres d'En Bas rendu très réaliste par une foule de détails et une grande cohérence. 

Tout en étant décalé de la réalité des citoyens du Londres d'En Haut, la société féodale qui s'active sous le Londres que l'on connaît est très hiérarchisée, les nobles, les héros, bons ou vils, et les rats y tiennent une grande importance, condition nécessaire mais non suffisante pour pouvoir survivre dans un climat plus que dangereux.

Autant dire que le pauvre Richard Mayhew, banal employé un peu naïf débarqué de fraîche date du Londres d'En Haut de façon fortuite, va devoir tout réapprendre pour échapper aux pièges insoupçonnés qui lui sont tendus, entre autres, par Messieurs Vandemar et Croup, redoutables mercenaires envoyés spécialement en service recommandé par une intelligence supérieure. M. Vandemar et M. Croup font sans doute référence aux personnages de Fafhrd et Souricier dans le Cycle des Épées de Fritz Leiber. Très intéressants, ils se révèlent aussi comiques qu'impitoyables et dangereux, et l'on se prend de façon étrange à les trouver sympathiques dans leur rôle d'assassins burlesques.

Les autres personnages, la jeune Porte dont la famille a été anéantie, le Marquis de Carrabas, passé maître dans l'art de la survie système D, Chasseur qui collectionne des trophées de chasse exotiques et mortellement dangereux, Anesthésie, Lord Parle-aux-rats, la Jessica du monde d'En Haut, tous donnent du volume à Neverwhere, surprenant et captivant.

Un très bon roman, à conseiller à ceux qui, lassés des univers médiévaux caricaturaux, pourront retrouver des personnages de fantasy hauts en couleurs et magnifiquement interprétés, et ce au rythme du passage des rames de métro.

Extraits :

1- C'était le milieu du seizième siècle, et il pleuvait sur la Toscane : une méchante pluie froide qui peignait le monde en gris.

Une traînée de fumée noire montait du modeste monastère sur la colline, vers le ciel du petit matin.

Sur la colline, deux hommes assis regardaient le bâtiment brûler.

- Et ceci, monsieur Vandemar, déclara le plus petit des deux en indiquant d'une main graisseuse la colonne de fumée, va nous offrir un très beau sinistre, dès que la conflagration aura bien pris. Toutefois, le strict respect de la vérité me contraint à le confesser : je doute qu'aucun des habitants ne soit en position d'en savourer pleinement les charmes.

- A cause qu'y sont morts, vous voulez dire, monsieur Croup ? s'enquit son compagnon.

Il mangeait quelque chose qui avait pu être un chiot jadis, et, avec son coutelas, taillait dans la carcasse de larges tranches qu'il enfournait.

- A cause, comme vous le faites remarquer avec tant de pertinence, ami sagace et avisé, qu'ils sont morts.

Et voici comment l'on distingue les deux individus qui s'expriment : en premier lieu, M. Vandemar mesure deux têtes et demie de plus que M. Croup.

En deuxième lieu, M. Croup a des yeux d'un pâle bleu de porcelaine, tandis que M. Vandemar les a marron.

En troisième lieu, si M. Vandemar a façonné avec les crânes de quatre corbeaux les bagues qu'il arbore à la main droite, M. Croup ne porte aucun bijou apparent.

En quatrième lieu, M. Croup savoure les mots, tandis que M. Vandemar a toujours faim.

Et également parce qu'ils ne se ressemblent en rien.

Le monastère prit feu avec un souffle sonore : la conflagration s'étendit.

- J'm'agace pas à viser, déclara M. Vandemar. Ca vient tout seul.

Une voix hurla ; puis, avec un grondement puissant, le toit s'effondra et un rugissement s'éleva tandis que montaient les flammes.

- Quelqu'un n'était pas mort, annonça M. Croup.

- Plus maintenant, rétorqua M. Vandemar en mâchonnant une tranche de chiot cru.

Il avait trouvé son déjeuner étendu dans un fossé, tandis qu'ils s'éloignaient du monastère. Il aimait bien le seizième siècle.

- Et ensuite ? demanda-t-il.

M. Croup sourit. Ses dents évoquaient un accident dans un cimetière.

- A quatre siècles d'ici, à peu près, dit-il. Le Londres d'En Bas.

M. Vandemar digéra la nouvelle en même temps qu'un peu de chiot. Finalement, il demanda :

- Tuer des gens ?

- Oh, oui, assura M. Croup. Ca, je pense pouvoir m'en porter garant.

 

 

2- Le gros type aux dents en très mauvais état qui avait renversé Richard sur le pont luttait contre un nain. Ils se battaient avec des barres de fer, et la rencontre n'était pas aussi inégale qu'on aurait pu le penser. Le nain faisait preuve d'une vivacité surnaturelle ; il roulait, rebondissait, plongeait ; chacun de ses mouvements faisait passer Varney pour un balourd et un maladroit.

Richard se retourna vers le marquis, qui observait le combat avec attention.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

Le marquis lui accorda un coup d'œil avant de reporter son regard sur l'action qui se déroulait devant eux.

- Vous, répondit-il, vous êtes complètement dépassé par les évènements, totalement dans la merde et, à mon avis, à quelques heures d'un trépas prématuré dont je ne doute pas qu'il sera vraiment déplaisant. Nous, pour notre part, nous sommes en train d'auditionner des gardes du corps.

De sa barre, Varney frappa le nain qui cessa immédiatement de bondir et de cabrioler et se mit en devoir séance tenante de rester étendu sans connaissance.

- Je crois que nous en avons assez vu, lança le marquis d'une voix forte. Merci à tous. Monsieur Varney, si vous pouviez rester quelques instants ? (...)

- Je m'étais laissé dire, déclara une voix de femme, que vous cherchiez des gardes du corps, pas des amateurs enthousiastes.

Sa peau avait la couleur du caramel brûlé et son sourire aurait stoppé net une révolution. Elle était entièrement vêtue de cuir doux, gris et brun, moucheté. (...)

- Les démonstrations sont-elles terminées ? demanda-t-elle.

- Oui, répondit Varney.

- Pas forcément corrigea le marquis.

- Alors, répliqua-t-elle, j'aimerais passer une audition.

Varney était incontestablement dangereux, sans parler du fait que c'était une brute, un sadique et qu'il représentait une réelle menace pour la santé physique de ceux qu'il côtoyait. Mais s'il y avait une qualité qu'il ne possédait assurément pas, c'était la promptitude d'esprit. Il fixa le marquis, le temps que l'illumination se fasse, continue et persiste. Finalement, incrédule, il demanda :

- Faut que j'me batte contre elle ?

- Oui, répondit la femme en cuir. A moins que tu n'aies besoin de faire une petite sieste tout d'abord.

Varney se mit à rire : un ricanement de dément. Il arrêta de rire un instant plus tard, quand la femme lui assena un rude coup de pied dans le plexus solaire, et qu'il s'écroula comme un arbre abattu. (...)

- Et comment vous appelle-t-on ? s'enquit le marquis.

- Chasseur, répondit-elle.

Personne ne dit rien. Puis Porte, en hésitant, demanda :

- Chasseur en personne ?

- En effet, répondit Chasseur en nettoyant sur ses jambières de cuir la poussière du parquet. Je suis de retour.

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"Miroirs et fumées"

Titre original : Smoke and Mirrors, 1998

Neil Gaiman : Miroirs et fumées

Quatrième de couverture :

Alternant humour, réalisme, fantastique, noir, érotisme et interprétation moderne de mythes anciens, ce recueil de trente textes et nouvelles hantera longtemps votre imagination, bousculera vos sens, entraînera votre âme vers des profondeurs inconnues...

Entre les mains de Gaiman, la magie n'est pas une illusion, mais un révélateur puissant de notre humanité, obscurcie par les fumées de nos peurs et réfléchie dans le miroir de nos rêves.

Né en 1960 en Angleterre, auteur de la célèbre série de comics The Sandman, de livres pour la jeunesse, d'un roman écrit en collaboration avec Terry Pratchett, De Bons Présages, et d'un roman fantastique urbain, Neverwhere, Gaiman s'est imposé comme l'un des auteurs cultes de la nouvelle vague fantastique rock.

Mon avis  :-)

Les nouvelles présentes dans Miroirs et fumées appartiennent toutes à des genres vraiment différents et c'est ce mélange hétéroclite qui fait que l'on accroche plus ou moins à l'ensemble. Les nouvelles sont bien sûr inégales, certaines sont très bonnes et avec une chute surprenante, d'autres sont plus convenues, mais toutes bénéficient du savoir-faire de Neil Gaiman en matière d'écriture (en deux phrases, on est déjà plongé dans l'histoire, pas de délayage superflu), pour notre plus grand plaisir. Parmi les trente nouvelles et textes, j'ai préféré celles-ci, surtout à cause de leur originalité ou de leur style d'écriture

- Chevalerie, ou les difficultés de Galaad pour récupérer le Saint Graal à une vieille dame anglaise bien comme il faut.

- Le bassin aux poissons et autres contes : un peu plus longue que les autres, dans laquelle un écrivain venu d'Angleterre doit s'adapter à la vie de Los Angeles qui défile à 100 à l'heure, pour vendre un scénario de film sans cesse remanié par les producteurs. 

1- C'est loin ?

Il a secoué la tête.

Vingt-cinq, trente minutes environ, me répondit-il. Vous êtes déjà venu à L.A. ?

- Non.

- Eh bien, comme je dis toujours, L.A. est une ville de trente minutes. Où que vous vouliez aller, c'est à trente minutes de distance. Pas plus.

 

2- Il y avait un très vieux Noir, un employé de l'hôtel, qui traversait la cour chaque jour avec une lenteur presque douloureuse, arrosait les plantes et inspectait les poissons. Il souriait en passant, et je le saluais d'un signe de tête.(...)

- Jolis poissons.

Il a hoché la tête et a souri.

- Des carpes ornementales, importées de Chine.

Nous les avons regardées nager autour du petit bassin.

- Je me demande si elles s'ennuient.

Il a secoué la tête.

- Mon petit fils, il est ichtyologue, vous savez ce que c'est ?

- Il étudie les poissons.

- Hum-hum. Il dit qu'elles ont trente secondes de mémoire, environ. Alors, elles nagent dans le bassin, et c'est toujours une découverte pour elles, elles se disent : "J'avais jamais été dans ce coin avant." Elles rencontrent un poisson qu'elles connaissent depuis cent ans, et elles disent : "T'es qui, toi, l'étranger ?".

- La Spéciale des Shoggoths à l'ancienne : située dans l'univers de Chtulhu à Innsmouth (une ville homonyme en Angleterre !) elle fait intervenir un touriste égaré qui va apprendre bien des choses sur la région.

- Virus : très court, c'est un texte qui parle d'un jeu plus que prenant...

- On peut vous les faire au prix de gros : voir ce qu'en dit F. ci-dessous.

- Le balayeur de rêves : très court texte, mais très beau et presque effrayant ;)

- Neige, verre et pommes : Blanche-neige revisité façon Neil Gaiman !

 

L'avis de F.  :-/

Miroirs et fumées est un recueil de nouvelles qui vont du fantastique à la science-fiction. Du pastiche Lovecraftien aux légendes revisitées, en passant par des histories érotiques d'un goût douteux, l'auteur aborde plusieurs genres sans véritablement convaincre. Ces nouvelles sont très souvent assez plates et sans réelle consistance, ce qui les rend plutôt ennuyeuses. Seules deux ou trois nouvelles sortent véritablement du lot, mais globalement il n'y a pas de chutes spectaculaires ou d'idées sensationnelles, et ces nouvelles ne laissent pas de souvenir durable. Mais l'originalité du ton étrangement distant et assez décalé de Gaiman donne une saveur particulière à ces nouvelles, bien qu'on puisse rapidement s'en lasser. Toutefois ces nouvelles permettent (pour certaines) de passer un moment entre deux romans. A lire par petites touches.

Mes nouvelles préférées :

- Chevalerie : une vieille dame anglaise achète le Saint Graal chez un antiquaire. Un jour Galaad vient frapper à sa porte pour essayer de l'acquérir. Le choc des cultures et la description des personnages rendent cette nouvelle attachante.

« Gente dame, gardienne du saint des saints, accordez-moi de quitter ce lieu avec le Calice Bénit, afin que mes périples arrivent à leur terme et que ma tâche soit accomplie. 

Pardon ? demanda Mrs Whitaker.

Galaad se dirigea vers elle et pris les vieilles mains de la dame dans les siennes.

« Ma quête est achevée, lui dit il. Le Sanréal est enfin à portée de main. »

Mrs Whitaker fit la moue.

« Pourriez-vous ramasser votre tasse et votre soucoupe s’il vous plait ? » demanda-t-elle.

Galaad les ramassa en s’excusant.

« Non, je ne crois pas, continua Mrs Whitaker. Il me plait beaucoup là où il se trouve. Il est parfait entre le chien et la photo de mon pauvre Henry. »

- On peut vous faire un prix de gros : Pour faire assassiner un de ses collègues, un homme fait appel à une agence spécialisée dans "l'élimination complète et discrète de mammifères désagréables et superflus". Cependant cette agence a des tarifs de gros très avantageux que ce client ne voudrait pas rater...

- Les mystères du meurtre : un corps sans vie a été découvert dans la cité des anges. Un ange a-t-il pu se suicider ?

- Neige, verre et pommes : une variation étonnante sur le thème de blanche neige.

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Liens concernant Neil Gaiman et son oeuvre :

- http://www.neilgaiman.com/ Le site officiel de l'auteur - en anglais -

- http://www.audiable.com Le site web original du Diable Vauvert où Neverwhere et American Gods sont édités - en français -

- http://www.holycow.com/dreaming/ Un site sur l'auteur, les nouveautés, des documents à télécharger - en anglais -

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